Journée mondiale des maladies rares : Deux experts du sujet s’expriment !

En France, trois millions de personnes, soit 4,5% de la population, sont atteintes de maladies rares. 

On compte aujourd’hui entre 6000 et 8000 maladies rares identifiées. Pourtant, 85% de ces maladies n’ont pas de traitement efficace pour en guérir. L’UMR Canther, le groupe dirigé par Fabrice Lejeune, a montré qu’une molécule appelée DAP (2,6-diaminopurine) corrige les conséquences d’un type particulier de mutation appelé mutation non-sens et qui affecte environ 10% des patients atteints d’une maladie génétique. 

A la suite d’un travail réalisé par l’équipe, la molécule DAP a été isolée d’un champignon comestible. Dans un modèle préclinique, les chercheurs ont montré que DAP corrige les mutations non-sens du gène impliqué dans la mucoviscidose. DAP est également efficace sur des organes miniatures (organoïdes) et sur des cellules isolées de patients. Cette étude suggère l’intérêt thérapeutique potentiel de DAP pour certains patients atteints d’une maladie génétique, comme la mucoviscidose. Pour la suite, l’objectif sera de formuler cette molécule en un médicament afin d’envisager des essais cliniques chez l’homme.

A l’occasion de la journée mondiale des maladies rares, nous avons recueilli les paroles de Fabrice Lejeune, chercheur à l’INSERM et  OncoLille, et Eric Hachulla, Chef de service en médecine interne au CHU de Lille afin de mieux comprendre les enjeux et perspectives mises en place autour de ces maladies. 

Quel est votre parcours ?

Fabrice Lejeune

Après un doctorat en Biologie moléculaire et cellulaire à Strasbourg (1997-2001) pour étudier l’épissage alternatif à l’Institut de Génétique et Biologie Moléculaire et Cellulaire, je suis parti faire un post-doctorat aux Etats-Unis (2001-2004) dans le laboratoire du Professeur Lynne Maquat qui est la personne ayant découvert le mécanisme de nonsense-mediated mRNA decay (NMD) dans les cellules humaines et qui depuis a étudié ce mécanisme. Il s’agit d’un mécanisme cellulaire qui dégrade spécifiquement les ARNm porteur d’un codon stop prématuré (comme les mutations non-sens). 

En 2005, je suis rentré en France pour rejoindre l’Institut de Génétique Moléculaire de Montpellier afin de développer un projet de recherche portant sur l’identification d’inhibiteurs du NMD qui pourraient servir d’approche thérapeutique pour des patients atteints de maladie génétique causée par une mutation non-sens soit environ 10% de ces patients. Dans la même année, j’ai été recruté à l’Inserm en tant que chargé de recherche. 

En 2007, j’ai reçu un financement AVENIR de l’Inserm pour créer mon équipe et développer un projet de recherche à l’Institut Pasteur de Lille. C’est à partir de ce moment que j’ai construit et utilisé des systèmes de criblage pour identifier des inhibiteurs de NMD puis des activateurs de translecture afin de corriger les mutations non-sens et proposer des approches thérapeutiques de maladies génétiques causées par une mutation non-sens. Je dirige maintenant l’équipe approches thérapeutiques moléculaires des maladies génétiques et du cancer à l’Institut Oncolille.

Eric Hachulla

Professeur de médecine interne et immunologie clinique, je me suis intéressé aux maladies rares dès le début de ma formation. Et je suis arrivé dans un service de médecine interne qui avait cette spécificité : prendre en charge une catégorie de maladies rares qui sont des maladies auto-immunes, systémiques, c’est-à-dire des maladies qui ne touchent pas qu’un organe. Les maladies rares ont donc été un fil conducteur tout au long de ma formation puis de ma carrière. 

Au début des années 2000, au CHU de Lille, nous avons identifié tous les services de notre établissement qui prenaient en charge des patients atteints de maladies rares. Il s’est avéré que toutes les disciplines ont une portion de patients atteints de maladies rares. En médecine interne, c’est 80 à 90% de nos activités qui sont des maladies rares auto-immunes ! Nous complétons la base de données nationale des maladies rares (BNDMR). C’est plus de 5300 patients atteints de maladies rares auto-immune que nous suivons dans le service.

Quels freins rencontrent les patients aujourd'hui face à ce genre de maladies ?

 

Selon Eric Hachulla, « la lutte contre l’errance est l’action n° 1 du plan maladies rares 3 car les patients atteints de maladies rares souffrent de cette période d’errance qui va des premiers symptômes jusqu’au diagnostic. 

L’errance moyenne dans les maladies rares est de 4 à 6 ans, mais parfois ça peut être 20 ans, 30 ans, 40 ans d’errance pour des maladies très rares. Cette errance est due avant tout à un manque de connaissance des maladies rares. Il y a 7000 maladies rares, un médecin de famille ne peut pas toutes les connaître ! Notre rôle en tant que centre de référence est de donner aux médecins de famille des clés qui leur permettront d’avoir un doute sur un symptôme, une manifestation clinique. La culture du doute, si elle fait évoquer une maladie rare, va orienter le patient vers des plateformes d’expertise régionales et ainsi raccourcir cette période d’errance. 

C’est pour lutter contre l’errance que les plans maladies rares ont été mis en place pour permettre aux patients atteints de maladies rares (ou pour lesquels on se pose la question d’une possible maladie rare) d’être rapidement pris en charge et orientés. C’est dans cet objectif qu’a été créée la plateforme d’expertise PLEMaRa qui a pour mission de rassembler au sein de notre CHU tous les centres de références et de compétences. »

Qu'est-ce qui est fait aujourd'hui pour améliorer la prise en charge des patients dans leur vie quotidienne ?

D’après Eric Hachulla, « c’est grâce aux différents plans maladies rares et grâce à la labellisation des centres maladies rares, il y a des moyens financiers qui ont été apportés aux centres de référence. Un travail est fait auprès du Ministère pour valoriser les consultations maladies rares qui sont des consultations longues. Pour les centres qui ont eu ces aides, cela a permis d’obtenir des postes supplémentaires (médecins, infirmières, etc.) pour améliorer la prise en charge des patients et permettre de développer l’éducation thérapeutique du patient.

L’éducation thérapeutique du patient est essentielle : on crée des programmes par lesquels on peut apporter aux patients une approche adaptée, personnalisée, qui lui permet de suivre un programme de formations. Le patient devient un partenaire de soin : il connaît mieux sa maladie et ses symptômes. »

 

 

Quelles perspectives de recherche dans a lutte contre les maladies rares ?

Pour Fabrice Lejeune, « de nombreuses approches sont développées pour apporter des traitements aux patients atteints de maladies génétiques. La thérapie génique et cellulaire qui commence à voir des autorisations de mise sur le marché, l’édition du génome avec la technologie CRISPR/Cas9 ou les oligonucléotides pour induire des dégradations d’ARNm ou des changements de profil d’épissage en sont de parfaits exemples. 

Enfin, des petites molécules sont aussi recherchées au travers de programmes de criblage de grande envergure afin d’activer ou inhiber des réactions métaboliques particulières. De nombreux programmes atteignent les essais cliniques et d’autres encore plus nombreux sont en phase préclinique. Ces programmes illustrent parfaitement le développement de la médecine personnalisée et de précision nécessaire pour le traitement des maladies génétiques. Il est donc attendu que des traitements voient enfin le jour dans les 10 à 20 prochaines années pour ces pathologies qui restent très souvent sans thérapie actuellement. 

Par exemple, mon travail de recherche vise à corriger les mutations non-sens qui sont responsables d’environ 10% des cas de maladies génétiques. Nous identifions et caractérisons des molécules qui sont capables de faire ignorer la présence de ces mutations afin de restaurer l’expression et la fonction manquante dues à la mutation. Ce travail fondamental se prolonge maintenant au sein de la start-up Genvade Therapeutics incubée à Eurasanté afin de développer industriellement une de ces molécules et d’établir le profil de toxicité par des tests réglementaires indispensables avant de pouvoir envisager d’éventuels essais cliniques. »

Pour Eric Hachulla, « les perspectives sont multiples : pour aider au diagnostic, le plan maladies rares a permis d’identifier au sein du territoire national 2 plateformes génomiques. Ces plateformes permettent de rechercher des nouveaux gènes pour des maladies génétiques pas encore identifiées. Car 80% des maladies rares sont génétiques. Et pour toutes, nous n’avons pas identifié tous les gènes.

Il y a beaucoup de recherche : tous les centres de référence font de la recherche et participent aux essais thérapeutiques développés par les industriels ou les académiques. Ça permet de découvrir des nouvelles voies thérapeutiques ciblées et d’ouvrir la porte à de nouveaux essais thérapeutiques. On observe dans des domaines où il y avait peu de progrès thérapeutiques une explosion de molécules candidates pour certaines maladies rares. C’est une perspective excitante : les thérapies ciblées et cellulaires commencent à être développées pour beaucoup de maladies auto-immunes et non auto-immunes.

Les chercheurs qui font une découverte en ce sens ont tout intérêt à lancer une start-up, lever des fonds et accompagner leur découverte. J’encourage largement les chercheurs à se lancer dans cette aventure ! »

Un mot de fin ?

Fabrice Lejeune : « Depuis de nombreuses années, l’association Vaincre la mucoviscidose (VLM) soutient ma recherche dans l’identification et la caractérisation de molécules correctrices de mutations non-sens. Ce soutien va au-delà de juste un support financier puisque VLM nous a aussi accompagné pour la mise en relation avec des cliniciens dans le but de tester nos molécules sur des cellules de patients. Encore aujourd’hui, VLM se montre intéressé pour suivre le projet en soutenant le développement de la molécule GV-01 par Genvade Therapeutics. »

Eric Hachulla : « Le plan maladies rares 4 est en cours d’écriture pour 2023 et je suis heureux d’y participer. Il comportera un axe fort sur la recherche et sur le développement des nouveaux médicaments ! »

Je voudrais recevoir des invitations à des événements sur les thèmes suivants :