Interview Pr. Claire MOUNIER-VÉHIER, MD-PHD

Claire MOUNIER-VÉHIER
Claire MOUNIER-VÉHIER
Claire MOUNIER-VÉHIER

Cardiologue, Pr. des Universités, Praticien Hospitalier en médecine vasculaire, chef du Service de médecine vasculaire et hypertension artérielle à l’Institut Cœur Poumon du CHU de Lille.

Claire Mounier-Véhier est cardiologue, Professeur des Universités – Praticien Hospitalier en médecine vasculaire et depuis 2005 chef du Service de médecine vasculaire et hypertension artérielle à l’Institut Cœur Poumon du CHU de Lille. A la tête de la Fédération Française de Cardiologie Nord-Pas de Calais, elle mène des expériences pilotes en faveur de la santé cardiovasculaire des femmes, en particulier celles en situation de précarité. Elle nous en dit plus sur toutes ses initiatives notamment sur le Fonds de Dotation AGIR pour le cœur des femmes qu’elle a depuis cofondé en 2020 avec Thierry Drilhon, dirigeant d’entreprise pour mobiliser sur le paln national et international sur cette urgence médico-sociétale…

 

Crédit photo : Paul Delort.

Vous êtes pleinement engagée dans la prévention des maladies cardiovasculaires des femmes. Pourquoi cette « spécialisation » ?

En fait, c’est un choix qui date du début de mes études car je voulais être gynécologue au départ ! On me dit que je suis féministe, mais en fait, ce qui est scientifiquement prouvé c’est que le sexe biologique et le genre social influencent conjointement la santé. Or, il y a beaucoup de préjugés, dans les 2 sens, qui font que les prises en charge ne sont pas équitables ou de qualité. On pense par exemple que les cancers du sein ne concernent pas les hommes, ou à l’inverse que les maladies cardiovasculaires leur sont réservées…

Avec plus de 75 000 décès par an en France, ces maladies cardiovasculaires sont la première cause de décès chez les femmes, une réalité qui reste encore trop méconnue, causant des retards de diagnostic et de prise en charge. Chaque jour, en France : 

2 femmes meurent dans des accidents de la route
33 femmes meurent du cancer du sein
200 femmes meurent de maladies cardio-cérébro-vasculaires

Cela est dû à une évolution délétère de leur hygiène de vie, avec plus de tabac, de stress, d’obésité et de sédentarité… A âge égal, les femmes ont plus de facteurs de risque que les hommes. L’hypertension, le diabète, le cholestérol ont un impact artériel plus toxique chez elles. Les facteurs psychosociaux sont aussi plus fréquents chez la femme et sont devenus une situation majeure de risque cardiovasculaire. Enfin les femmes sont exposées à des facteurs de risque spécifique liés à leur statut hormonal (contraception, grossesse, ménopause) mais encore le syndrome des ovaires polykystique, l’endométriose, le cancer du sein, la migraine avec aura, les maladies inflammatoires et autoimmunes qui font potentialiser le risque cardio-vasculaire et métabolique.

Est-il vrai que seulement 38% des femmes en France réalisent des bilans de santé périodiques, et seraient 77% à repousser le moment de consulter. Comment améliorer cette situation ?

En effet, elles se sentent moins concernées par leur santé, elles la font d’ailleurs souvent passer après leur famille ou leur travail. Une enquête a montré qu’en France, les femmes appellent le Samu en moyenne 15 minutes plus tard que les hommes dans les cas d’infarctus !

C’est pourquoi je milite pour une médecine préventive efficace, plus inclusive, bienveillante et adaptée aux spécificités féminines en incitant les femmes elles-mêmes à porter ces messages et à témoigner de leur histoire . Les symptômes atypiques de l’infarctus sont plus fréquents chez les femmes précédent et /ou accompagnant la douleur thoracique au moment de l’infarctus. Oui, il existe des spécificités des maladies cardio-vasculaires de la femme, et donc des mesures de prévention à mettre en place. 

« La recherche fondamentale, ce n’est pas ma spécialité ni ce qui m’intéresse le plus, il faut faire réagir le public, le sensibiliser, l’impliquer : pénétrer activement et efficacement dans les foyers grâce aux médias, aux conférences grand public, aux réseaux sociaux, c’est sauver de nombreuses vies, hommes et femmes d’ailleurs ! »

Il y a 2 ans, j’ai co-fondé avec Mr Thierry Drilhon (dirigeant et administrateur d’entreprises, président de la Franco British Chamber), « Agir pour le Coeur des Femmes », un fonds de dotation tourné vers la prévention des maladies cardiovasculaires chez les femmes avec une approche cardio-gynécologique. Notre ambition est de sauver 10 000 vies sur les 5 prochaines années. En effet, 8 accidents cardiovasculaires sur 10 sont évitables grâce à une meilleure hygiène de vie et un dépistage adapté. Pour cela 3 mots d’ordre : • Alerter • Anticiper • Agir ! Autour de 4 valeurs : Excellence, exigence, Bienveillance et performance.

Dans ce cadre nous avons mis en place le Bus du Cœur des femmes  : cette action nationale de proximité a permis de proposer un dépistage cardio-vasculaire, métabolique et gynécologique avec un accompagnement auprès de 5 000 femmes en situation de précarité et de coordonner plus de 500 professionnels de santé en 1.5 ans avec le soutien et l’accompagnement de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie et le soutien des villes étapes (15 par an). Nous avons en construction un observatoire national du risque cardio-vasculaire des femmes travaillée avec l’expertise de Patrick Devos, ingénieur biostatisticien à la délégation à la recherche au CHU de Lille.

A l’issue de ce dépistage, ces femmes sensibilisées sont réintégrées dans un parcours de santé avec des rendez-vous planifiés. La Caisse Primaire d’Assurance Maladie, sollicitée dans chaque ville, permet, en effet, d’inviter les femmes cibles au dépistage, de remettre les droits de certaines  femmes à jour et de leur trouver un médecin traitant si besoin.

Comment innover dans votre domaine ?

On ne guérit pas des maladies cardio-vasculaires ! L’avenir de la cardiologie ce n’est pas tant la technologie : c’est surtout la prévention !! Or la prévention est une action collective, qui allie les professionnels de santé, les collectivités publiques, l’Etat, les entreprises et chacun d’entre nous en nous responsabilisant car n’oublions pas que l’accident est évitable dans 8 cas sur 10 par un repérage et une prise en charge efficace !.

Depuis 2013, nous proposons par exemple des parcours de soins coordonnés «Cœur-Artères-Femmes» au CHU de Lille. C’est un bilan pluridisciplinaire des facteurs de risque et de la maladie cardio-vasculaire avec l’intégration du statut hormonal ; combiné à l’éducation thérapeutique pour une meilleure hygiène de vie, clé de la prévention. A travers la prévention, la médecine s’insère dans le quotidien et nous devenons tous acteurs de notre santé. La reconnaissance de la médecine préventive est essentielle. A noter lors de mes conférences grand public « Cœur de femme » : 30% d’hommes sont présents, car ils ont une mère, une épouse, des filles… et les messages de prévention sont unisexes.

« Il y a un continuum dans ma vie professionnelle, je réutilise tout ce que j’apprends dans mes actions, je capitalise sur chaque bonne pratique, qu’on pourrait qualifier d’Ecosanté »

Le mot de la fin : quels sont vos projets, attentes, perspectives pour l’avenir ?

Que nos actions menées avec Agir pour le Cœur des femmes continuent de se développer de manière harmonieuse pour notre région haut de France mais aussi sur le plan national  ! Nous visons un déploiement de notre action à l’international : nous sommes déjà en Suisse, bientôt au Luxembourg, avons fait des conférences sur Dubai et US.

Nous n’avons jamais eu de Plan Cœur ou plan Cardio-vasculaire, pourquoi ? Cela aiderait grandement les actions de prévention sur cette première cause de mortalité féminine, deuxième cause masculine, cause majeure de handicap. Nous aimerions aussi avec Thierry Drilhon que la santé de la femme soit une grande cause nationale.

Je voudrais recevoir des invitations à des événements sur les thèmes suivants :